mercredi 29 novembre 2017

 
Les mystères de René Guignard

De 1972 à 1985, René Guignard a enseigné le dessin à l’école secondaire et au collège de Bulle. L’artiste peintre de Cugy revient sur les lieux qu’il a fréquentés pour y présenter une série de vingt-trois toiles dans la Cimaise du Collège du Sud. Ses œuvres décrivent les lumières du bord de mer et les ombres des sous-bois dans une douce ambiance teintée de mystère.

Une silhouette se détache à l’orée du bois. Le spectateur de ce contre-jour est témoin d’une solitude troublante. Rien de dramatique, ni d’excessif, il s’agit plutôt d’une « saudade » veloutée. René Guignard observe les gens, mais bien plus que leur visage, ce sont les formes de leur corps qui l’intéressent. Ses huiles de grande taille sont visibles dans la Cimaise du Collège du Sud à Bulle. Grâce à l’entremise de Dominique Gex, professeur en art visuel et la participation de plusieurs élèves, l’espace accueille la proposition de l’artiste qui trouve ici un écrin particulièrement agréable.
Le peintre, tout juste octogénaire, fait preuve de tempérance, à la fois dans les couleurs et dans la retranscription des détails. Avec « Éloge du vide », il pousse encore un peu plus loin cette sobriété figurative pour nous faire découvrir un espace neutre. Ce n’est pas toujours le premier plan qui est sujet. Ici, c’est bien le ciel blanc, le vide qui crée l’aplomb du tableau. Un néant dans lequel on se surprend à laisser errer son regard. Walter Tschopp conservateur de la Fondation Ateliers d’artiste à Chexbres souligne le besoin de l’artiste de se dégager d’un trop-plein, en recherchant la forme du vide. « La ligne n’existe pas, il n’y a que des formes et des volumes, le blanc du ciel devient un Gestalt » rajoute-t-il.
L’absence du noir
Si la ligne est absente, la présence du noir l’est aussi. Des bruns ou des violets foncés, des bleus sombres mais jamais rien de charbonneux n’apparaît. « Il n’y a pas de noir dans la nature », répond l’artiste. Pas de noir non plus dans cette représentation d’une nuit au bord de la mer : « L’énigme de Magouère ». L’ambiance recèle une pointe d’inquiétude, une anxiété vacillante qui attire plus qu’elle ne rebute. Que font ces silhouettes sur la plage ? Quelle histoire palpable se cache dans cette ambiance nocturne ?
René Guignard retranscrit des sensations et des souvenirs avec une palette de couleurs réduite qui suffit amplement à tout dire.  Le bleu de cobalt, la terre de Sienne brûlée et l’ocre jaune jouent avec des blancs, parfois saturés. Sans en faire trop, sans jamais détailler sa vision, il joue avec une certaine abstraction où seul l’essentiel semble transparaître. Dans « Étude pour littoral 3 », le peintre explore les reflets de la lumière zénithale sur les vagues. Il nargue ainsi nos souvenirs estivaux, quand il faut plisser les yeux pour regarder au large.
Équilibre
L’artiste apporte un soin tout particulier à la construction de ses paysages. Une vraie recherche de l’équité entre les espaces. Une scénographie précise où chaque élément a sa place, parfois de manière un peu convenue. Un équilibre calme, trop calme ? Il en résulte une tension qui ne laisse pas le spectateur dans une totale sérénité. L’artiste nous cache quelque chose, à l’image de ce tableau où le ciel glacial et sombre est scindé par le tronc d’un bouleau. C’est dans le hors champ que se cache le secret, et c’est à l’imagination de le trouver. Il y a dans l’ensemble de l’accrochage une ambivalence captivante. L’homme (aucune femme) est un personnage incarnant une présence, presque une ombre qui dialogue avec le paysage.
Une autre approche
L’élaboration de cinq acryliques présente une démarche artistique différente. Le peintre a utilisé des chutes de toiles qu’il a collées sur du papier sans recouvrir les bords d’un passe-partout. La toile de lin non enduite sert de fond à la peinture. Sa structure et sa teinte se fondent dans l’ambiance générale de ces plus petites peintures. L’abstraction, à laquelle René Guignard a longtemps été adepte, ce manifeste par petites touches sans esquisser le figuratif. Une aparté dans l’exposition, où le noir et la ligne sont cette fois-ci bien présents.
La Cimaise, Collège du Sud, Bulle. Ouvert du lundi au vendredi de 8h à 17h45
Parution La Gruyère du 25 novembre 2017