mercredi 27 mars 2013

 Journal "La Gruyère" mardi 26 mars 2013 -->
Le rose grinçant de Catherine Liechti

L’idée d’un envol



Catherine Liechti expose des installations et des peintures aux tonalités troublantes. Elle s’amuse avec les reflets de la matière et les références à d’autres artistes. Des oeuvres à la fois éthérées et inquiétantes, à découvrir à la galerie Osmoz à Bulle.



Dédié à « L’insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera, l’exposition de la peintre Catherine Liechti oscille entre air et eau, douceur et inquiétude, envol et pesanteur. Julien Victor Scheuchzer présente ce travail créatif dans les murs de sa galerie Osmoz à voir dès à présent.

L’installation principale « Volière et virose » confronte la liberté à la pesanteur. Des oiseaux, de la poussière et des étoiles, tous troublés par un rose sali traduisent une confidence de l’artiste : « J’ai parfois l’impression que la légèreté ou la superficialité est lourde à porter, qu’elle nous plombe».

Perchée dans le nid d’aigle qui lui sert d’atelier, elle s’est astreinte à un travail quotidien, celui de peindre les oiseaux qu’elle voyait par la fenêtre. Loin d’une représentation classique de peinture animalière, il s’agit ici de traduire l’idée du vol en se laissant guider par l’émotion du moment.

L’installation permet aux volatiles de se refléter sur un tapis rosacé de peintures sur acétate. Leurs reflets emprisonnés au sol donnent un contrepoint à leur liberté supposée. Les peintures sur acétate, élaborées à partir de photographies de poussière ou de galaxie, au résultat visuel identique (clin d’œil à la photographie « Elevage de poussière » de Man Ray) brouillent les pistes des échelles spatiales. « Je crois que l’on ne sait jamais vraiment où l’on est et les oiseaux n’ont peut-être pas non plus conscience de l’espace dans lequel ils volent ».





Une deuxième oeuvre pousse plus loin le jeu des reflets. Une pie naturalisée  montre sa culotte tandis qu’elle scrute le spectateur d’un œil. Elle est installée sur une peinture sur verre dont une parois remonte devant son bec et devient miroir. Un jeu de réflexion s’installe, et  l’animal est visible sous toutes ces coutures. On se surprend à chercher un peu de vie dans ses reflets. « J’avais envie que l’image devienne dynamique, qu’elle se renforce par la présence de celui qui regarde » explique-t-elle.

Poursuivant dans les mêmes tons rose, lilas et améthyste, l’artiste propose une série de peintures grand format à l’huile. Elle y représente des paysages plus ou moins abstraits dans une ambiance d’aube ou de crépuscule. Quelques arbres dessinent un horizon, le tout émergent du brouillard vaporeux d’un lac que l’on croit connaître. Catherine Liechti a travaillé sur cet instant d’incertitude où l’on ne sait si la lumière va percer les nuages ou non.

D’autres séries sont encore à découvrir. Elles parlent elles aussi de l’insaisissable, tandis qu’une réinterprétation du lac des cygnes, plus ludique se laisse manipuler.



Toujours prise entre deux pôles dont l’attraction semble inévitable, ses œuvres sont à chaque fois construites autour d’une forte dualité. Suivant un processus par tâtonnement, Catherine Liechti est une investigatrice.  Si parfois elle cherche à en dire beaucoup, peut-être trop, ses œuvres touchent par la sincérité de son travail introspectif. MR

Galerie Osmoz, Bulle, du 23 mars au 23 avril, Ouverture les jeudis, samedis et dimanches de 14h à 18h et sur rendez-vous.


mardi 5 mars 2013

Il y a une année j'étais en résidence artistique à Berlin, depuis plus de six mois on me demande comment j'ai vécu cette expérience. 
Voici enfin une réponse (publiée dans la nouvelle Gazette littéraire):
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Une résidence artistique berlinoise

Un printemps à Wedding, Berlin.
Petite réflexion sur les six mois passés dans l’atelier artistique mis à disposition par le canton de Fribourg.


Depuis mon retour, les curieux, les polis et les contribuables ne cessent de me le demander : « Bon alors, c’était comment Berlin ? »
Six mois rien qu’à soi, c’est un luxe qui ne se résume pas en quelques phrases, alors je tourne autour du pot. Mais ils veulent savoir, je n’y échapperai pas. Je marmonne quelques explications peu convaincantes emmêlées de silences, censées faire fuir les indiscrets. Je dois me rendre à l’évidence. C’est mon secret choyé que je dois disséquer à la vue de tous. Moi qui m’étais promise de le protéger, le calfeutrer bien au chaud dans ma mémoire, je cède sous la pression et immanquablement, à force de description, je l’esquinte, je l’use et j’ai peur qu’il n’en reste bientôt plus rien.

Des images qui ne diront rien à la plupart, qui resteront une énigme mais qui auront le mérite d’être la mienne.


J’observe mon souvenir, le triture, au fil des semaines j’en modifie la matière première. Je me répète, et au gré de mes humeurs, je remanie l’histoire. Sans doute. Les photographies trouvent dès lors une deuxième portée, témoins argentiques de l’aventure, elles donnent leur point de vue. Elles et quelques mots, furetant entre deux clichées.
En attendant, des anecdotes, inévitablement les mêmes, reviennent toujours sur le devant de la scène volant la vedette à tous ces autres instants. Ces petits riens, plus difficiles à raconter mais au combien essentiels. Plus que les rencontres, plus que les grandes discussions sans queues ni tête dans des galeries bondées, plus que les artistes célèbres qu’il ne faut pas manquer de visiter, plus  que l’architecture et l’histoire qu’elle raconte, ils sont ce qui m’a enrichit. Des instants modestes. Des aubaines ou des invraisemblances que je n’aurais osé imaginer vivre ou entendre:

« …Oh Mamy Oh mamy mamy blue
Ich ging im zorn einst von dir fort
ganz ohne Kuss und AbschiedswordIch drehte mich nicht einmal um - oh Mama
Ich sah das Leben und die Welt - und plötzlich hab? ich festgestellt
Wie sehr mir deine Liebe fehlt - oh mamy
Oh mamy mamy blue… »

Inimaginable, poilant.
Accumulés, ces infimes régals, comme les cailloux du petits Poucet, m’indiquent la direction de mon Heimat, ce pays que chacun porte à l’intérieur, celui que mon métier cherche à extérioriser, celui que je suis venue retrouver à Berlin. Ici ou ailleurs j’aurais pu partir à sa rencontre, ce n’est pas le lieu qui importe c’est l’espace temps. Avoir le temps d’être à quelque part.
Et pourtant c’est quelque chose de désynchronisé à vivre, un peu comme se sentir à côté du monde et y prendre plaisir. Un antagonisme qui a le goût doucereux de l’observation. J’avais à disposition une débauche de patience et j’étais seule à décider d’entrer dans la danse, ou de rester en arrière et de ne pas déclencher. Pouvoir attendre, découvrir une fausse note et la trouver parfaite pour sa propre partition, et il ne reste ensuite qu’à s’impliquer, et finalement appuyer sur le bouton chancelant de ce vieil appareil photo. J’enroule le film d’un cran et demain ou après-demain, j’armerai pour la suivante.




A la recherche de mes instants modestes
L’inconnu ayant, cela va de soi, un pouvoir d’attraction plus évident, je me suis dirigée naturellement vers la banlieue. Ces rues qui ne sont pas visitées, mais seulement  empruntées. Où il ne se passe rien, si ce n’est la vie comme elle va. Un quotidien banal pour une ruelle sans prétention, où en général, je trouve le substrat adéquat à mes pérégrinations photographiques.

L’exotisme Berlinois ne se déniche pas réellement dans sa topographie, ou dans le regard de ses habitants. C’est son rythme qui m’a particulièrement surprise. Un mouvement que je ne connaissais pas. De janvier à avril, une certaine mollesse ponctuée de musique électronique ou de turbo-folk, stagne dans une lumière laiteuse, ou carrément absente. Un ton sur ton, gris sur gris. S’ensuit la nuit qui s’installe à seize heures. De là les minutes s’étirent et l’horloge interne s’affole. Ce n’est qu’à la fin avril que le soleil rasant daigne se montrer, sans voile et sans chaleur. À partir de là, le rythme mou devient agréablement lent. La banlieue sort de son hibernation, les terrasses émettent un agréable brouhaha, les flâneurs se multiplient et je sors ma bicyclette. Après une sieste hibernale généralisée, c’est désormais dehors que les gens se croisent, font des affaires, s’ennuient, vivent.

A la recherche de mon aplomb
Dans un monde d’horizons pixélisées
Une animula comme punctum
S’il n’y a rien
Je pédalerai encore
Pour qu’au moins demain
Il me reste quelques courbatures


Et que les choses soient claires, je ne suis pas allée bouger mon fessier dans les nuits branchées, ni glousser dans les galeries cotées. Il y a dans cette ville beaucoup d’impatients venus se vendre, tenter leur chance au-delà de l’honnêteté. La ville elle-même se cherche une destinée, construit son mythe sur un flux continus de jeunes européens déçus, venu croire à moindre frais, qu’ici l’herbe serait plus verte. Des loyers modérés pour des milliers de cétoines venus s’éblouir parmi, et croiser les doigts pour que quelqu’un les remarque. Deux mois à peine après mon arrivée, j’avais les yeux qui piquaient. Je me suis donc éloignée, je voulais m’affranchir du brillant, me faire surprendre laconiquement et paisiblement. Je me suis mise en apesanteur et j’ai pris mes marques dans la périphérie nord. Des campings résidentiels, des casinos inquiétants, des immeubles uniformes, des vitrines étranges et des lacs pour les romantiques. Furetant à l’instinct et à la force du mollet, je guettais, jusqu’à ce que les choses se mettent en accord avec mon monde.