Les mystères de René Guignard
De 1972 à 1985, René Guignard a
enseigné le dessin à l’école secondaire et au collège de Bulle. L’artiste peintre de Cugy revient sur les lieux qu’il a fréquentés pour
y présenter une série de vingt-trois toiles dans la Cimaise du Collège du Sud.
Ses œuvres décrivent les lumières du bord de mer et les ombres des sous-bois
dans une douce ambiance teintée de mystère.
Une
silhouette se détache à l’orée du bois. Le spectateur de ce contre-jour est
témoin d’une solitude troublante. Rien de dramatique, ni d’excessif, il s’agit
plutôt d’une « saudade » veloutée. René Guignard observe les gens,
mais bien plus que leur visage, ce sont les formes de leur corps qui
l’intéressent. Ses huiles de grande taille sont visibles dans la Cimaise du
Collège du Sud à Bulle. Grâce à l’entremise de Dominique Gex, professeur en art
visuel et la participation de plusieurs élèves, l’espace accueille la
proposition de l’artiste qui trouve ici un écrin particulièrement agréable.
Le peintre,
tout juste octogénaire, fait preuve de tempérance, à la fois dans les couleurs
et dans la retranscription des détails. Avec « Éloge du vide », il
pousse encore un peu plus loin cette sobriété figurative pour nous faire découvrir
un espace neutre. Ce n’est pas toujours le premier plan qui est sujet. Ici,
c’est bien le ciel blanc, le vide qui crée l’aplomb du tableau. Un néant dans
lequel on se surprend à laisser errer son regard. Walter Tschopp conservateur
de la Fondation Ateliers d’artiste à Chexbres souligne le besoin de l’artiste
de se dégager d’un trop-plein, en recherchant la forme du vide. « La ligne
n’existe pas, il n’y a que des formes et des volumes, le blanc du ciel devient
un Gestalt » rajoute-t-il.
L’absence du noir
Si la ligne
est absente, la présence du noir l’est aussi. Des bruns ou des violets foncés,
des bleus sombres mais jamais rien de charbonneux n’apparaît. « Il n’y a
pas de noir dans la nature », répond l’artiste. Pas de noir non plus dans
cette représentation d’une nuit au bord de la mer : « L’énigme de
Magouère ». L’ambiance recèle une pointe d’inquiétude, une anxiété
vacillante qui attire plus qu’elle ne rebute. Que font ces silhouettes sur la
plage ? Quelle histoire palpable se cache dans cette ambiance
nocturne ?
René
Guignard retranscrit des sensations et des souvenirs avec une palette de
couleurs réduite qui suffit amplement à tout dire. Le bleu de cobalt, la terre de Sienne brûlée
et l’ocre jaune jouent avec des blancs, parfois saturés. Sans en faire trop,
sans jamais détailler sa vision, il joue avec une certaine abstraction où seul
l’essentiel semble transparaître. Dans « Étude pour littoral 3 », le
peintre explore les reflets de la lumière zénithale sur les vagues. Il nargue
ainsi nos souvenirs estivaux, quand il faut plisser les yeux pour regarder au
large.
Équilibre
L’artiste
apporte un soin tout particulier à la construction de ses paysages. Une vraie
recherche de l’équité entre les espaces. Une scénographie précise où chaque élément
a sa place, parfois de manière un peu convenue. Un équilibre calme, trop calme ?
Il en résulte une tension qui ne laisse pas le spectateur dans une totale
sérénité. L’artiste nous cache quelque chose, à l’image de ce tableau où
le ciel glacial et sombre est scindé par le tronc d’un bouleau. C’est dans le
hors champ que se cache le secret, et c’est à l’imagination de le trouver. Il y
a dans l’ensemble de l’accrochage une ambivalence captivante. L’homme (aucune
femme) est un personnage incarnant une présence, presque une ombre qui dialogue
avec le paysage.
Une autre approche
L’élaboration
de cinq acryliques présente une démarche artistique différente. Le peintre a
utilisé des chutes de toiles qu’il a collées sur du papier sans recouvrir les
bords d’un passe-partout. La toile de lin non enduite sert de fond à la
peinture. Sa structure et sa teinte se fondent dans l’ambiance générale de ces
plus petites peintures. L’abstraction, à laquelle René Guignard a longtemps été
adepte, ce manifeste par petites touches sans esquisser le figuratif. Une
aparté dans l’exposition, où le noir et la ligne sont cette fois-ci bien
présents.
La Cimaise, Collège du Sud, Bulle. Ouvert du
lundi au vendredi de 8h à 17h45.
Parution La Gruyère du 25 novembre 2017